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Tribune

La Catalogne et le faux piège de Piketty

Thomas Piketty prétend que la revendication d'indépendance de la Catalogne est le fait de classes aisées refusant la solidarité avec les régions les plus pauvres. Une thèse fausse, selon Ignasi Fortuny et Elisenda Paluzie. Les ressources par habitant en Catalogne se situent au-dessous de la moyenne nationale après redistribution.

Le TGV n'est arrivé qu'en 2008 à Barcelone alors que des milliers de kilomètres de voie inutile ont été construits avant.
Le TGV n'est arrivé qu'en 2008 à Barcelone alors que des milliers de kilomètres de voie inutile ont été construits avant. (JOEL SAGET / AFP)
Publié le 18 févr. 2020 à 10:00

Dans son livre «Capital et idéologie», l'économiste Thomas Piketty consacre un chapitre aux causes de l'indépendantisme catalan. D'après lui, le désir d'indépendance est une affaire des classes aisées qui refusent d'être solidaires avec les régions espagnoles pauvres et veulent garder leurs recettes, et réduire les impôts pour attirer des investissements en devenant ainsi un paradis fiscal à la luxembourgeoise.

Or cette thèse repose sur deux faux constats.

Le premier argument qu'avance Piketty est qu'il existe une corrélation positive entre niveau de revenu des Catalans et soutien à l'indépendance, mais son analyse s'arrête là. Or, le fait que deux variables soient corrélées ne démontre pas qu'il y a une relation de causalité entre l'une et l'autre.

Ainsi, des études récentes réalisées par les économistes espagnols Maza, Villaverde et Hierro (2019), et le politologue Pardos-Prado (2019), démontrent qu'il n'existe pas de causalité dans ce cas-là. Selon ces auteurs, le lieu de naissance, la langue la plus utilisée et le niveau d'éducation sont les principales variables expliquant ce soutien à l'indépendance, tandis que l'effet des revenus disparaît.

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Solidarité fiscale

Ensuite Piketty considère que l'Espagne est l'un des pays les plus décentralisés du monde en matière fiscale car l'assiette de l'impôt sur le revenu est partagée à 50-50 entre le gouvernement central et les régions. Il ignore que l'essentiel de la solidarité se fait sur le 50 % perçu par les régions.

De fait, les ressources par habitant en Catalogne se situent au-dessous de la moyenne nationale après redistribution.

Ceci démontre un problème global espagnol sur l'efficacité du système de redistribution des ressources entre les régions.

Le premier défaut de ce système réside sur son manque d'équité. Il n'y a pas vraiment de lien entre richesse de la région et niveau de son déficit (ou excédent) fiscal. Certaines régions relativement pauvres comme le Pays valencien pâtissent d'un déficit fiscal, alors que d'autres territoires plus riches que la moyenne bénéficient d'un excédent fiscal.

Corruption structurelle

Ensuite, deuxième défaut, il existe une énorme opacité quant à l'utilisation de ces fonds, moins destinés à promouvoir la croissance économique des régions pauvres qu'à alimenter un système de corruption structurel.

Pour mesurer l'aberration des dépenses publiques en infrastructures, voici quelques données : avec un réseau de 3.240 kilomètres de TGV, l'Espagne est le 2e réseau ferré mondial, de nombreuses lignes n'atteignant pas 10 % de leur capacité. Quant aux 49 aéroports publics espagnols, 17 n'atteignent pas 100.000 passagers par an. On les appelle les aéroports fantômes.

La plupart des infrastructures en Espagne relèvent de la compétence de l'Etat : routes, trains, ports, aéroports. Or celui-là dépense très peu en Catalogne (environ 9 % de la dépense totale, pour une population et un PIB catalans respectifs de 16 % et 19 %).

Le TGV n'est arrivé qu'en 2008 à Barcelone alors que des milliers de kilomètres de voie inutile ont été construits avant. Le corridor méditerranéen (principale connexion ferroviaire de marchandises vers l'Europe) est abandonné au profit du réseau TGV qui doit connecter, de façon centralisée, Madrid avec toutes les capitales de province.

Ces dernières décennies, la Catalogne a fait un effort fiscal considérable. Encore faudrait-il un système de redistribution moderne et efficace permettant une véritable solidarité interrégionale. Aussi, la Catalogne, l'un des principaux moteurs économiques de l'Espagne, mériterait de recevoir un retour en investissement nécessaire à son développement.

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Une Catalogne indépendante est totalement compatible avec le rêve de Piketty d'une Europe fédérale et solidaire. Elle contribuerait volontiers à un véritable régime fédéral, basé sur des principes d'équité…

Elisenda Paluzie est professeur d'économie à l'université de Barcelone, présidente de l'Assemblée nationale catalane (ANC).

Ignasi Fortuny est avocat aux barreaux de Paris et de Barcelone, responsable de l'ANC en France.

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