Coulisses de Bruxelles

Eurodéputés catalans : après Junqueras, le risque d'une guerre des juges

L'indépendantiste catalan Oriol Junqueras n'est plus eurodéputé, le président du Parlement européen ayant décidé de se conformer à une décision de la Cour suprême espagnole.

publié le 13 janvier 2020 à 6h17
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Le feuilleton des eurodéputés catalans se poursuit, pour le plus grand embarras de l'Union européenne. Vendredi, la Cour suprême espagnole a jugé qu'Oriol Junqueras, ancien vice-président du gouvernement de Catalogne, condamné en octobre à treize ans de prison pour «sédition» et «détournement de fonds», n'était plus député européen, confirmant ainsi la décision de la Commission électorale centrale espagnole du 3 janvier.

Dans la foulée, et alors que, le 6 janvier, le Parlement européen avait reconnu à Junqueras, ainsi qu’à Carles Puigdemont (ancien président de l’exécutif catalan) et Toni Comín (ancien ministre régional), tous deux réfugiés en Belgique, leur qualité d’eurodéputé, son président, le socialiste italien David Sassoli, a décidé de se plier au jugement de la Cour suprême espagnole. Et de mettre fin au mandat de Junqueras. Il faut dire qu’il n’avait guère d’autre choix, sauf à entrer en confrontation directe avec l’Etat espagnol. Une situation baroque, Junqueras ayant été élu, mardi, président de l’Alliance libre européenne (ALE), qui siège avec les Verts.

Immunité parlementaire

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L'affaire est préoccupante car la justice espagnole s'est assise sur l'arrêt de principe de la Cour de justice européenne du 19 décembre décidant que Junqueras était bien député et disposait de l'immunité parlementaire dès la proclamation des résultats des européennes de mai (qui a eu lieu le 13 juin en Espagne). Pour la Cour suprême espagnole, dès lors que le procès contre cet indépendantiste catalan avait commencé avant les élections, il ne pouvait plus se prévaloir de son immunité, comme cela est le cas pour les députés nationaux espagnols. Cet argument avait pourtant été écarté par les juges européens dans leur arrêt. Une décision d'autant plus étrange que le président de la Cour suprême, Manuel Marchena, avait écrit à la Cour de justice de l'UE le 14 octobre pour l'assurer que «la question [de l'immunité parlementaire] continu[ait] de présenter un intérêt et une pertinence pour cette Cour suprême, puisque la réponse de la Cour de justice ser[ait] effective, quelle que soit la situation de la détention préventive ou de la procédure pénale touchant Junqueras»… Manifestement, il ne s'attendait pas à une telle décision des juges de Luxembourg.

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Pire, le juge chargé de poursuivre les dirigeants indépendantistes catalans a annoncé qu’il ne respecterait pas l’immunité parlementaire de Puigdemont et de Comín s’ils se rendaient en Espagne, ce qui est une violation directe des engagements européens de l’Espagne. Plus raisonnablement, la Cour suprême a demandé au Parlement de Strasbourg la levée de l’immunité parlementaire des deux hommes afin que la justice belge puisse statuer sur le nouveau mandat d’arrêt européen lancé contre eux par Madrid.

La situation catalane jugée à l’UE

Cet acharnement judiciaire va obliger les institutions communautaires à enfin s'intéresser à la situation catalane, alors qu'elles regardent ailleurs depuis le référendum illégal de 2017. En effet, les députés vont se prononcer à la majorité simple sur la levée de l'immunité parlementaire de Puigdemont et de Comín, un vote dont le résultat est loin d'être acquis. Déjà, les Verts, la gauche radicale et une partie des eurosceptiques du groupe des CRE sont montés au créneau pour dénoncer la décision de la Cour espagnole : «L'arrêt récent de la Cour de justice européenne, l'Etat de droit et la démocratie sont piétinés dans un silence embarrassé», a ainsi fustigé sur Twitter l'élue de La France insoumise Manon Aubry.

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Le seul groupe à se réjouir de la décision de la Cour suprême espagnole est le PPE (conservateurs), les socialistes et les centristes n’ayant fait aucun commentaire. Surtout, la Commission, qui doit veiller à ce que les arrêts de la Cour de justice soient respectés par les Etats, va devoir décider si oui ou non l’Espagne a respecté le droit européen, et, si elle estime que ce n’est pas le cas, ouvrir une procédure d’infraction. Si elle ne le fait pas, Junqueras pourra saisir lui-même la Cour de justice, mais aussi la Cour européenne des droits de l’homme. Le jusqu’au-boutisme des juges espagnols risque donc de déboucher sur une guerre des juges sans précédent dans l’histoire européenne.